jeudi 4 juin 2020

Mes années "insolites"

Pendant quelques années j'ai beaucoup écrit sur "l'insolite", des anecdotes oubliés, des personnages bizarres, rien d'important.

Et d'ailleurs les livres non plus n'avaient aucune importance. Pourtant c'est dans l'introduction de l'un de ses livres inutiles que je m'offris le luxe de raconter un peu mon enfance et de rendre hommage à l'esprit fantasque de mon père.

 "Jadis, pour moi en tous cas, tout était clair ! Pour mon père, des « vacances réussies » se déroulaient quasiment toujours selon le même scénario. Nous entassions nos bagages dans la 4L, qui servait d’ordinaire à transporter le motoculteur ou la brouette vers de lointains jardins, et nous partions sur les routes, généralement au milieu de la nuit, pour une destination encore floue. Nous habitions près de Lyon, autant dire au cœur de l’Europe – de l’Europe des années 60, de taille raisonnable, celle que l’on pouvait espérer parcourir en 4L… Mais le plus souvent nous partions en France. Une France d'avant les autoroutes, rurale, monumentale, balnéaire, pittoresque…

Nous descendions les gorges de l’Ardèche ou du Tarn, nous visitions les « plus beaux villages de France », des châteaux dominant des lacs auvergnats, des petits ports oubliés, nous allions admirer des forêts immenses, des chutes d’eau vertigineuses, mon père ponctuant chacune de ces nouvelles découvertes d’une phrase lui tenant lieu de sentence ultime : « ça vaut le coup d’être vu ». Son engouement pour ce qui "valait le coup d'être vu" n'était pas toujours partagé par les guides touristiques, verts, rouges ou bleus, dont nous nous passions fort bien d'ailleurs. Ce qui l'enthousiasmait n'avait quasiment jamais d'étoile et ne faisait l'objet que de commentaires un peu condescendants. Selon les guides, nous devions être des touristes de seconde zone, des amateurs de "pittoresque", de "beaux points de vue", de "statues insolites", de ce qu'on ne va voir qu'après avoir épuisé les charmes réels de la "magnifique architecture" ou de la "perspective sublime". N'empêche, le Facteur Cheval, on allait le voir quasiment tous les ans ! En voisins certes, mais sans ce ricanement un peu hautain des tenants du Beau officiel qui reléguaient son œuvre gigantesque au rayon du "pittoresque" et de "l'insolite". S'ils avaient daigné écouter mon père, Edmond Michelet et André Malraux n'auraient pas attendu si longtemps pour classer son Palais de bric et de broc au rang des monuments historiques. Art brut, qu'ils disaient… Nous on trouvait ça joli. Point !

Bref, le Bizarre, la France Insolite, j'ai baigné dedans depuis tout petit. Nous avions aussi un goût certain pour les lieux de tournages de films populaires et de feuilletons, genre Belle et Sébastien ou L’Homme du Picardie ; nous suivions à la trace les héros des affaires étranges, la Bête du Gévaudan, les Templiers ou les derniers Cathares ; mais nous préférions par-dessus tous les décors de crimes abjects - nous allions régulièrement visiter l’Auberge Rouge de Peyrebelle -, et les "curiosités naturelles" – Ha les "Demoiselles coiffées", et l'arc de Vallon-Pont-d'Arc, comme ils nous inspiraient de commentaires élogieux ! Certes, pendant ce temps là, je zappais un peu les basiliques romanes et la grande histoire de France, que nous ne croisions qu'accessoirement en admirant le Lion de Belfort ou les Tranchées des baïonnettes à Verdun."


Le livre était dédié à deux de mes amis les plus chers. "Ce livre est dédié à Michèle et Robert, grâce à qui j’ai découvert Conques, le Val d’Aoste et la Lorelei, et à la mémoire de Charly qui nous y amena à bon port."