samedi 8 août 2009

Histoires de Glandeurs


Citons nous nous-même.
Dans l'Art de la Paresse, City éditions, 2009, je donne cette définition des glandeurs. C'est aussi une sorte de philosophie personnelle...

Le glandeur est un fainéant professionnel ou compulsif, mais un fainéant. Traiter quelqu’un de glandeur n’a strictement rien de grave, en règle général il le sait déjà ! Nous sommes confronté là à ce genre d’insulte dite de « désignation » par certains linguistes.
Le glandeur est à sa manière une sorte de philosophe, la plupart des moines et des contemplatifs n’en font guère plus de leurs dix doigts. Les sâdhus des Indes sont des glandeurs révérés, alors qu’ils se livrent ostensiblement à la paresse en public. Un ermite dans sa grotte, considéré par le voisinage comme un Saint, passe notoirement le plus clair de son temps à glander. Mais comme nous l’affirmions déjà dans un précédent chapitre, il s’agit là de « paresses admises » par la société qui refuse à un adolescent fatigué de nature un comportement quasiment identique.

Où glander ?

Partout, chez vous lorsqu’il faudrait se mettre au ménage ou songer à ouvrir son ordinateur pour bosser un peu, au bureau évidemment, en particulier lorsque la travail s’accumule, à l’école, au lycée, en fac… Partout donc. Le glandeur n'a aucun terrain d'inactivité précis. Il est partout à son aise, et partout inactif.
Notons que certaines activités sont plus propices à la glandouille. C’est particulièrement le cas des études supérieures, considérées, même par temps de crise, comme une sorte d’intermède permettant de relâcher la pression entre l'obtention du Bac et l'entrée dans "la vie active". Il faut dire qua ça fout la trouille…
C'est sans doute l'une des caractéristiques principales du glandeur, il se réserve pour l'avenir. Il trouve inutiles la plupart des choses qu'on souhaiterait lui voir faire, il attend donc que quelque chose vaille la peine de se bouger un peu.

Comment glander ?

Le glandeur n’est pas un dissimulateur. Il glande assez ouvertement en choisissant des métiers qui lui permettront de laisser libre cours à ses penchants. Nous l’avons déjà croisé à l’université, mais il s’installe souvent dans des professions peu exposées, à des postes où son attitude ne risque pas de lui faire de tort, voire dans des milieux où cette attitude est tolérée comme faisant partie d’une certaine culture d’entreprise. Les neuf dixièmes des employés du secteur privé pensent –malheureusement à tort - que c’est le cas des emplois de la fonction publique (en retour, les fonctionnaires pensent que « ceux du privé » sont surpayés).
La glande est la forme la plus décomplexée de la paresse, ni dissimulation, ni angoisse, c’est parfois même une forme militante de feignantise. On la revendique d’un vigoureux « je glande » lancé à la face de toute personne s’inquiétant de ce qu’on fait.
Ce qu’on fait ? Ben rien, évidemment…

Le glandeur a pourtant de l’avenir, on en rencontra naguère au gouvernement de grandes puissances mondiales. Les USA furent, parait-il, gouvernés pendant huit ans par un personnage qui dissimulait à peine sa tendance à la glandouille.

Les risques de la glande…

La glande étant pratiquée ostensiblement, il y a bien des risques qu’elle se remarque, alors tout dépendra du bon vouloir de votre patron ou de votre conjoint. Mais la glande risque également de vous fatiguer. Il faut un sacré culot pour affirmer que l’on glande, et le culot c’est parfois fatigant à assumer…

Un type particulier de glandeur : le branleur

Le branleur est, littéralement, quelqu'un dont l'emploi du temps est suffisamment allégé pour avoir tout loisir de se livrer à la masturbation, alors que le reste de l'humanité souffrante est condamné au travail. « Bonne année les branleurs ! » s'exclame l'un des auteurs involontaires d'une "brève de comptoir" recueillie par Jean-Marie Gourio. Le branleur est un feignant compulsif, ou simplement quelqu'un ayant fait la démonstration de son inaptitude au travail. L'injure la plus souvent émise est "petit branleur", il s'agit là encore d'un réflexe générationnel propres à des gens d'âge mûr, fustigeant la paresse de leurs cadets.
Bizarrement, nos services d'investigation ne nous signalent quasiment aucune "petite branleuse", qualificatif qui, pour les filles, semble exclusivement appartenir au vocabulaire érotique.
Comme la plupart des insultes mettant en cause le refus du travail, "branleur" est un terme fièrement revendiqué par les réfractaires. Dans un roman intitulé "Récit d'un branleur", publié en décembre 2000, Samuel Bencherit a donné une définition forcément positive du branleur : "Moi du travail j’en avais pas. On m’avait dit qu’il était impossible d’en trouver alors j’avais pas insisté. Question diplôme j’étais pas trop décoré non plus."

Comment reconnaître les glandeurs ?
Ils ricanent en ne faisant ostensiblement rien…
On reconnaîtra les glandeurs à quelques caractéristiques physiques. Le glandeur est souvent mal peigné – il n’a pas eu le temps – une peu débraillé - pas le temps non plus… Il a parfois le regard un peu dans le vague, entre deux siestes. Il n’est quasiment jamais à l’heure pour rien, et n’en ressent aucune confusion.
Mais surtout le glandeur est de bonne humeur, alors même que son inactivité permanente aurait de quoi le rendre neurasthénique. Le glandeur est un branleur de bonne humeur.

Où le rencontrer ?
Les glandeurs, tels les grands fauves, se retrouvent pour se désaltérer. On les croise au comptoir des bars à l’heure où l’humanité souffrante est au boulot. Ils se regroupent en masse confuse devant les machines à café, la moindre terrasse ensoleillée en est envahie dès les premiers beaux jours.

Dans la famille glandeurs observons…

Le père
Il "travaille" dans une grande société multinationale dont l'organigramme est si compliqué et confus que plus personne ne sait vraiment à quoi il sert, moyennant quoi il ne fait même plus semblant de servir à quelque chose. Il avait songé un instant à entrer dans la fonction publique, mais il fallait passer un concours ! Papa glandeur n'est pas plus actif à la maison, dont il ne connaît quasiment qu'une pièce, le salon, là ou se trouve le canapé face à la télé branché sur Foot +. Il a la "folie des glandeurs"…
La mère
Elle a réussi à convaincre son gros loulou qu'elle ferait mieux de faire "femme au foyer" pour s'occuper des enfants, en particulier maintenant qu'ils sont grands et partis de la maison. Derrick et les Chiffres et les lettres réussissent parfois à la distraire des longues conversations quotidiennes avec la femme de ménage.
Le fils
Son année de troisième et le passage du brevet – à 16 ans ! – risque de sonner le glas de ses espérances scolaires. Il serait temps pour lui de songer à une orientation à la mesure de ses ambitions, il paraît qu'il y a des filières "à horaires allégés".
La fille
En troisième première année de sociologie dans une fac où elle ne va que pour traîner à la cafeterai, elle subsiste grâce au baby-sitting pratiqué de préférence auprès d'enfants "propres", "sages" et gros dormeurs, et dans des familles très convenablement équipées en matériel audiovisuel.
Le grand-père
Retraité de la fonction publique – à 55 ans – il s'est installé dans une région ensoleillée où il passe le plus clair de son temps en compagnie de jeunes vieillards en son genre, à ricaner de la France besogneuse sur la place du village…
La grand-mère
Elle aussi retraitée, mais elle n'avait pas fait grand chose de ses dix doigts durant sa "vie active", elle passe ses journées à jacasser avec quelques mamies du même âge, mauvaises langues drôles et mal élevées. Le repas de papy glandeur attendra…