jeudi 21 mai 2020

Les Bienveillantes décryptées, 2007

A la fin de 2006, Isabelle Lerein, rencontrée lors de la préparation du guide des aventures de Fantômas, version Hunebelle, me fait une étrange proposition, "décrypter" les Bienveillantes, le terrifiant roman de Jonathan Littel.

Les Bienveillantes ! Le roman de l’année, celui qui conquiert les lecteurs et le jury des grands prix littéraire… Ce roman foisonnant, écrit par un homme ayant brassé plus de documentation que bien des auteurs de thèses ou de livres documentaires avant lui, ouvre des abîmes d'incertitudes. Et nous n'évoquons pas là les mystères de la psychologie des bourreaux, qui sont au cœur de l'œuvre romanesque, mais toutes ces informations données au détour d'une phrase - un nom, une ville, un événement… - qui constituent la toile de fond du roman. Notre modeste guide a voulu tenter de répondre à quelques unes des questions que chacun d'entre nous s'est posé au fil des pages - « Qu'est devenu ce personnage, où se trouve cette ville, quel est ce livre, que veut dire ce sigle… » - curiosité que le glossaire se trouvant à la fin de l'édition originale du roman ne suffit pas toujours à satisfaire.

Ce guide n'est pas une œuvre d'historien, l'auteur n'en revendique ni le titre, ni les compétences… mais le carnet de bord d'un lecteur qui, comme vous sans doute, a voulu suivre quelques-unes des pistes entrouvertes par Jonathan Littell. Vous y trouverez beaucoup de dates, de chiffres, de récits d’abominations, la plupart sont déjà présents dans l’œuvre de Littell, éparpillés dans le roman, mais aussi occultés par un personnage qui fait évidemment preuve d’un désintérêt complet pour la réalité des massacres à propos desquels il rédige ses petits rapports. Ce livre me valut de me plonger à mon tour dans une impressionnante et terrifiante documentation - toujours de seconde main, car je n'ai jamais parlé un seul mot d'allemand. Disons -le encore aujourd'hui, je n'avais aucune raison d'être appelée pour me livrer à cette tâche. en revanche j'en avait peut-être eu une sorte d'intuition quelques mois plus tôt, lors d'un voyage à Berlin dont j'avais rapporté quelques livres qui me servirent en permanence.
J'eu une assez mauvaise critique de la part du Nouvel Obs, qui trouva le livre "paresseux" en revanche je fis une télévision dans une émission de Patrice Carmouze en tête à tête avec l'écrivaine Tatiana de Rosnay qui venait de sortir un best-seller mondial, elle s'appelait Sarah. Les Bienveillantes décryptés furent également éditées en collection de poche chez Pocket.

Mais ces Bienveillantes qui étaient-elles ? "Les Bienveillantes ne le sont guère. Le titre du roman de Jonathan Littell fait directement allusion à des divinités grecques, personnages associés d’ordinaire à l’histoire d’Oreste et de la famille des Atrides. Les grecs dénommaient Bienveillantes, par euphémisme, et pour ne pas avoir à prononcer leur véritable nom, certaines des créatures les plus terrifiantes de la mythologie antique, les Erinyes ou Euménides. Ce sont les filles de Gaïa, inséminée par le sperme s'échappant du sexe tranché d'Ouranos. Elles sont au nombre de trois : Mégère, Laecto et Tisphone. Cette dernière donne tout son sens au titre du roman de Jonathan Littell, puisqu'elle est la divinité vengeresse poursuivant les meurtriers. Les Erinyes – qualifiées donc de Bienveillantes – pourchassent les criminels de leur terrible vengeance. Dans la pièce que leur a consacré Eschyle, Les Euménides, troisième et dernière partie de l'Orestie (458 avant JC), nous les voyons traquer Oreste qui vient de tuer sa mère Clytemnestre pour venger son père Agamemnon. Lisons Les Euménides d'Eschyle, dans la traduction de l'édition Herbert Weir Smyth en 1926 - Celle-là même, sans doute, que l’helléniste Max Aue a dû lire au collège. «Nous chassons des demeures ceux qui tuent leurs mères (…) Le sang versé d'une mère demande vengeance, je poursuivrai cet homme comme ferait une chasseresse ! (…) Il est là, blotti quelque part. L'odeur du sang humain me sourit ! (…). Ô dieux ! Le sang d'une mère, une fois versé, est ineffaçable. Il coule et il est absorbé par le sol. Il te faut expier ton crime, il faut que je boive à ton corps vivant la rouge et horrible liqueur ; et, après t'avoir ainsi épuisé, je t'entraînerai sous terre, afin que tu sois châtié du meurtre de ta mère. (…) Quiconque a fait le mal, comme cet homme, et cache des mains sanglantes, nous lui apparaissons, incorruptibles témoins des morts, avec force et puissance, et nous lui faisons payer le sang répandu ! «